© Michel Ocelot

Comme “je dis tout” avec mes films, je n’éprouve pas le besoin d’en dire plus. Et je ne désire pas non plus être un personnage public. Mais on m’a plus d’une fois reproché, ici et là, avec conviction, de ne pas avoir de site.

Par ailleurs, des interviews, articles, reportages, me sont consacrés, et multipliés sur Internet. “Mes” réponses sont écrites par le journaliste et non par moi (radio et télévision semblent plus exacts, mais, enlevant les questions, sélectionnant mes réponses et les agençant, elles en font leur propre spectacle —sans compter l’impossibilité de corriger moi-même mes maladresses). Comme c’est la règle, il y a toujours des à-peu-près, des glissements de sens, de francs contresens, des lacunes, ainsi que des informations fausses venues d’on ne sait où et qui se répandent. Ce non-contrôle est tantôt indifférent, tantôt amusant, tantôt embarrassant.

Un autre problème à résoudre : répondre à toutes sortes de demandes sur mon métier, mes films, ma vie, prend un temps démesuré sur mon travail de cinéaste.

Enfin, ne nous faisons pas d’illusions, dans le tumulte du monde on est vite oublié. Je rappelle mon existence pour conserver un accès à budgets et outils.

Après bien des années, voici des informations correctes sur moi-même, écrites par moi-même, avec un luxe d’images.

Date de naissance
Il semble que je ne la donne pas. Ce fut en fait l’inverse, on ne me la demandait pas ! Et on publiait des dates aléatoires sans passer par moi, sur des ouvrages qui semblaient fort sérieux, mais jouaient avec une naissance fluctuant sur une vingtaine d’années. J’ai d’abord été choqué, puis séduit. Ce flou artistique était plaisant. Je l’adopte pour l’instant (mais une date semble avoir maintenant la faveur des publicistes). C’est aussi une manière de rappeler que je suis une personne privée.

Je me souviens de l’anniversaire de mes 21 ans, où je me suis dit : «21 ans ! Tu es fini. Et qu’as-tu fait de ta vie ? Rien». Voici une information précise : j’ai plus de 21 ans.

Lieu de naissance
Villefranche-sur-Mer, un joli petit port, tout près de Nice, sur une belle rade.

Enfance
Petite enfance : dans la région niçoise.
Enfance de l’école primaire : en Guinée-Conakry. C’est l’enfance dont on se souvient. Elle fut parfaitement heureuse. Excellents parents, frères et sœur proches, pays magnifique et gens bienveillants. Grandes vacances sur la Côte d’Azur. J’avais deux univers à ma disposition.

Adolescence
A Angers, un troisième univers, rejeté. Après n’avoir connu que l’été en toutes saisons, je n’ai pas aimé la pluie et le froid. Après la petite école communale, je n’ai pas aimé le grand lycée-usine. J’y étais mauvais, mais j’avais de nombreuses activités en dehors, art et création.
Aujourd’hui, j’aime Angers et l’Anjou !

Formation
Il y a longtemps que j’ai tourné la page de mes établissements scolaires. Passé un certain âge, il faut avoir des accomplissements, et non énumérer ses certificats d’études. Mais le sujet revient régulièrement, avec ses affirmations bancales. Alors voici la chose :

– Ecole Régionale des Beaux-Arts, Angers. Après avoir été mauvais au lycée, je me montre bon en tout… C’est l’établissement où j’ai appris le plus. Il était très scolaire et enseignait, sans complaisance, les techniques. J’y ai commencé à me dire que le “dessin animé” pouvait combler mon désir de dessiner, bricoler, dire des histoires et toucher à tout. Je réclame un département animation à l’école. Il sera créé après mon départ.

– Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, Paris. Mes bons résultats aux Beaux-Arts d’Angers (et la générosité de mes parents) m’ont conduit à Paris, où je pouvais choisir entre deux “Grandes Ecoles” : Beaux-Arts ou Arts-Déco. Je me méfiais de la première, monde incertain où je risquais de ne pas apprendre. Mais les Arts-Déco de l’époque se sont révélés fixés sur l’architecture intérieure, dont je n’avais rien à faire, avec trop peu d’art graphique et pas du tout de cinéma d’animation. Je réclame un département animation à l’école. Il sera créé après mon départ. En attendant, je profite de Paris.

Et je rêve d’Amérique, c’était le pays brillant de toutes les réussites. Il s’agit aussi d’apprendre l’animation, dans le pays dominant de l’animation. Je travaille à obtenir une bourse, j’y parviens. Personne n’a su me renseigner aux services culturels américains à Paris, et aucun établissement n’a répondu clairement. Je choisis bien sûr Los Angeles, et une école au hasard dont le catalogue m’a plu.

– Art Center College of Design, Los Angeles. Publicité, arts graphiques, photographie. Grande rigueur et efficacité, travail. J’apprécie, mais il n’y a pas d’animation. Etant sur place, je trouve l’école spécialisée. Je change en cours d’année.

– California Institute of the Arts, Los Angeles. C’est la dernière année de cet établissement dans les vieux bâtiments du centre-ville. Pas d’organisation, les professeurs n’enseignent guère et n’exigent rien —nous sommes en 1968. Je n’ai rien appris en animation. Je ne me plains pas : j’ai eu l’Amérique, à une époque exceptionnelle.

Ma carrière 1
Service militaire au cinéma des armées. J’y fais de l’animation, que je ne pourrai pas montrer : secret militaire.

Premier emploi dans une petite société où je devais faire de l’animation, mais où les commandes n’arrivent pas, et elle périclite.

Commence une première période de chômage —les studios d’animation n’éprouvent pas le besoin de m’employer. Yves Rousset-Rouard, producteur, me distingue lors d’un concours pour jeunes scénaristes. Il crée alors un studio d’animation (un projet de longue date, avec l’argent de son succès mondial, “Emmanuelle”), me confie son installation et me demande l’adaptation de vieux albums, “Gédéon“, en série pour la télévision. Ignorant tout, je m’y mets, scénario, modèles, graphisme, scénarimage, décors, organisation, conception des bancs d’animation, réalisation. La série est faite, 4 heures en un an, livrée à l’heure, elle plait et on demande une suite. Je semble être sur les rails du succès. Mais les animateurs se sont si mal tenus que le producteur renonce à tous ses projets d’animation et ferme l’éphémère studio de dessin animé. Yves Rousset-Rouard exercera son talent de producteur dans la Vue Réelle, avec grand succès.

Une deuxième période sans travail s’établit. De loin en loin, je tourne des films personnels courts (et je fais des ateliers pour les enfants).

Marcelle Ponti et Jacques Rouxel (les Shadocks) produisent plusieurs de mes courts métrages d’auteur, en particulier le premier, “Les 3 Inventeurs“, où j’ai mis tout ce que j’avais, déterminé à montrer à quel point j’étais bon… Les décideurs ne s’en sont pas aperçus. Le film a cependant obtenu un Bafta à Londres.

Jean-François Laguionie, auteur que j’admire, produit quelques épisodes d’une série de mon cru, tentative qui n’intéresse aucune télévision d’Europe, toutes contactées. C’est “Ciné Si“, ma découverte de la silhouette, pour cause de pauvreté, car cette technique, à peu près oubliée depuis Lotte Reineger sa créatrice, est la moins chère de toutes. Elle me charme (le Théâtre d’Ombres : la Nuit Magique où tout peut arriver).

Ces quelques films courts, toujours décidés par moi, me mettent dans le circuit des festivals d’animation (plaisir d’avoir des prix). Grands souvenirs d’Annecy et Zagreb, puis Hiroshima et Ottawa, belle famille internationale construite de rencontres en retrouvailles. Activité dans l’ASIFA (Association Internationale du Film d’Animation), un groupement de passionnés qui a changé les choses à l’époque de la Guerre Froide et de la seule existence visible des Productions Disney. J’y serai élu président. Je me retire de ce poste après 6 ans, car je dois faire des films —j’ai tout à coup accès aux outils…

Ma carrière 2
Didier Brunner, producteur d’animation, me dit que je perds mon temps avec la télévision et me demande de lui écrire un long métrage. Je feuillette mes notes et esquisses, accumulées pendant mes passages à vide, je sélectionne une idée africaine et j’écris “Kirikou et la Sorcière“ en une semaine, avec passion. Financement dur à trouver, fabrication traditionnelle et difficile, dans 6 pays différents, France, Belgique, Luxembourg, Hongrie, Lettonie, Sénégal. Après 6 ans, le film sort en 1998, sans publicité, faute de budget. Mais le bouche à oreille fait des prodiges : Kirikou est un succès durable, qui change ma vie professionnelle, et aussi le paysage de l’animation en France.

Christophe Rossignon, producteur de longs métrages en vue réelle, me permet de faire un nouveau long métrage raffiné dans d’excellentes conditions, “Azur & Asmar“, avec une technique nouvelle pour moi, la 3D. L’équipe est merveilleuse. Je continue à faire d’autres ouvrages dont j’aie envie, toujours avec plaisir et avec une équipe de rêve. Deux autres longs métrages sur Kirikou sont à part dans ma production, puisque c’est le public insistant qui m’a fait la commande, pas moi, qui n’envisageais pas de “suite”.

Je dois mentionner une activité dans l’édition : tous mes films sont transposés, par moi, en albums ou romans. Je participe aussi à des spectacles sur scène d’après mes films, “Kirikou et Karaba”, mis en scène et chorégraphié par Wayne McGregor, “Princes et Princesses”, mis en scène par Legrand Bemba-Debert.

J’ai eu l’honneur de travailler pour Björk, qui m’a demandé de faire une vidéo pour son titre “Earth Intruders”, un plaisir.

En ce moment, je dessine pour un nouveau film, sur Paris, et les femmes. Pas de date de livraison encore.

Mes goûts
• Dessin.
Je suis d’abord un artiste visuel. J’ai toujours dessiné. Le premier art que j’aie franchement aimé, découvert la première année du collège, est l’art égyptien, bientôt suivi par l’art grec. Je saute les romains et le moyen-âge, et je me régale de la première renaissance italienne, toute légère (il y a aussi de belles choses en France au XVe siècle), et de la seconde, si riche et sensuelle (je méprise un peu les imitations hors de l’Italie). A partir de là, tout l’art occidental m’intéresse, jusqu’à la moitié du XXe siècle. Mon goût pour le dessin bien fait me porte volontiers vers les illustrateurs fin XIXe et début du XXe siècle (ne nommer que deux ou trois créateurs est faux. Voyez ci-dessous une liste conséquente. C’est avec plaisir que je donne mes “bonnes adresses”, bien des “petits maîtres” négligés mais savoureux).

J’ai aussi été sensible tôt aux miniatures persanes du XVIe siècle et à l’art extrême-oriental, encre-lavis chinois et japonais, estampes japonaises, délices du trait et de l’observation. La liste n’est pas exhaustive —et je continue à regarder partout !

Des illustrateurs que j’aime

  • Alastair (D)
  • Georges Barbier (F)
  • Aubrey Beardsley (GB)
  • Ivan Bilibine (RUS)
  • Robert Bonfils (F)
  • Bernard Boutet de Monvel (F)
  • Pierre Brissaud (F)
  • A.M. Cassandre (F)
  • Harry Clarke (IRL)
  • Paul Colin (F)
  • Edward Gordon Craig (GB)
  • Carl Otto Czeschka (A)
  • Jean-Gabriel Domergue (F)
  • Etienne Drian (F)
  • Edmon Dulac (F, GB)
  • Jean Dupas (F)
  • André Durenceau (F)
  • Ludwig Hohlwein (D)
  • Valentine Hugo (F)
  • Louis Icart (F)
  • Paul Iribe (F)
  • Rudolf Koivu (FIN)
  • Moriz Jung (A)
  • Kós Károly (H)
  • Georges Lepape (F)
  • Norman Lindsay (AUS)
  • Felix Lorioux (F)
  • Charles Martin (F)
  • André Edouard Marty (F)
  • Kolo Moser (A)
  • William Nicholson (GB)
  • Kay Nielsen (DK)
  • Arthur Rackham (GB)
  • Charles Ricketts (GB)
  • Charles Robinson (GB)
  • Auguste Roubille (F)
  • William Heath Robinson (GB)
  • François-Louis Schmied (CH)
  • Marcel Vertès (F)
  • René Vincent (F)
  • Rex Whistler (GB)
2016. Mise en chantier d’un nouveau film. Belles rencontres dans la population animatrice, et aussi rencontres de stagiaires, réjouissantes.
La liste ci-dessus m’enchante, mais je la trouve terriblement bornée : le talent continue, et m’inspire tout autant.
Pour « dé-borner » cette liste, j’y ajoute le blog de 4 étudiants que j’ai croisés, ayant tout leur développement devant eux —certains n’ont pas encore 20 ans.
cecileguillard.tumblr.com
mathildeloubes.tumblr.com
julesb222.tumblr.com
antoine-bonnet.tumblr.com
C’est seulement une piste. De lien en lien on découvre une foule de divins dessinateurs. A vous de surfer et d’admirer, et plus si entente !

• Ecriture.
Je n’ai été conscient de mon état de conteur qu’à l’âge très adulte, mais cet état était en place dès l’enfance. J’ai toujours été “bon en rédaction” à l’école, et à partir de huit ans (au moins) j’écrivais des histoires pour ma grand mère (ce n’est pas dans ce sens que cela se passe habituellement !). J’ai volontiers lu une collection appelée “contes et légendes”, aux illustrations soignées 1930. Diverses écritures en cours de croissance, poésies, guignol, pièces gentiment satiriques sur ma famille. Lecture facile de la littérature française de base. Un certain attachement au XVIIIe, liberté, élégance, esprit. Je lis volontiers la correspondance des personnes remarquables de ces époques. Je me mets à la lecture d’œuvres en anglais à partir de mon séjour américain, je l’apprécie. A un moment de ma vie de jeune adulte, je décide de ne plus lire de romans, et, à la place, de vivre des romans. Aujourd’hui, je lis surtout “utile”, en fonction du prochain projet. Puisque je projette un film à Paris à la Belle Epoque, mes lectures présentes sont les mémoires de Sarah Bernhardt, celles de Louise Michel, ainsi que l’œuvre de Marcel Proust.

Mon prochain film se passe à Paris à la Belle Époque.
Je me replonge bien sûr dans mes livres d’images sur les grands artistes de cette époque. Un peintre favori depuis longtemps est Toulouse-Lautrec. J’ai les beaux livres suivants, qui rendent Lautrec très vivant, entouré de vrais amis :
– François Gauzi · Lautrec et son temps · Editeur : David Perret, Paris, 1954.
– Ph. Huisman et M.G. Dortu · Lautrec par Lautrec · Editeur : La Bibliothèque des Arts, Paris, 1964.
Entre autres livres, j’ai un beau volume sur « un témoin de la Belle-Epoque », un peu oublié : le peintre Antonio de la Gandara.
– Xavier Mathieu · Antonio de la Gandara, un témoin de la Belle-Epoque · Editions Librairie des Musées, Paris, 2011.
J’ai une collection de photographies de Eugène Atget, le Paris profond de la Belle Epoque, en particulier :
– Paris du Temps Perdu · Editions Edita S.A., Lausanne, 1985.
J’ai aussi mes propres photos de ma ville !
Un guide précieux pour moi :
– Janine Casevecchie et Gilles Tagat · Paris Art Nouveau · Editions du Chêne, Hachette Livre, Paris, 2009.
J’ai été passionné par les mémoires de deux dames plus grandes que nature, Louise Michel et Sarah Bernhardt. J’ai des images de celle-ci et les correspondances de Louise Michel :
– Michèle Auer · Sarah Bernhardt : la première star du théâtre face aux photographes · Editeur: Ides et Calendes, Neuchâtel, 2000.
– Louise Michel · Je vous écris de ma nuit · Editeur : Les Editions de Paris Max Chaleil, 1999.
Je voulais utiliser l’opéra. J’ai découvert de nouveaux personnages, oubliés, après une gloire planétaire à leur époque:
– Roger Blanchard, Roland de Cande · Dieux et Divas de l’Opéra · Editeur : Plon, Paris, 1987.
Je ne pouvais pas échapper à Proust. J’ai donc lu “À la Recherche du Temps Perdu”. Mes sentiments sont mitigés sur une telle lecture. Mais c’est fascinant de pouvoir entrer dans un monument dont on a tant entendu parler partout, et dans lequel je me suis un peu perdu. Un livre réunit les portraits magnifiques, fascinants, de personnalités de cette époque, par Paul Nadar :
– Anne-Marie Bernard · Le Monde de Proust · Editions du Patrimoine, Paris, 1999. Cet ouvrage est accompagné d’excellentes notices (sauf la sotte préface qui détruit les surprises de l’œuvre de Proust —on ne doit jamais écrire ni lire de préfaces).
Je me suis un peu penché sur “l’importation des sauvages” :
– L’invention du sauvage, Exhibitions · Musée du Quai Branly · Hors-série Beaux-Arts Magazine, Beaux Arts Editions, numéro de Novembre 2011.
– Christian Maurel · L’Exotisme colonial · Editeur : Robert Laffont, Paris, 1980.
– Nelly Schmidt · Histoire du métissage · Editeur : de la Martinière, Paris, 2003.
Ce dernier n’est pas gai à lire…
J’ai quelques précieux documents d’époque, des photos, des publications :
– Je sais tout · Encyclopédie Mondiale Illustrée, Année 1905 ·  Editeur : Pierre Lafitte, Paris, 1905.
J’ai d’ailleurs suivi en feuilleton, sur les “Je sais tout” de ma grand’ mère, les aventures d’Arsène Lupin, comme un contemporain. C’est un de mes héros.
– Paris-Parisien (1899) · Editeur : Paul Ollendorff, Paris, 1899.
C’est un guide fascinant, Paris au présent, à cette époque, avec un luxe de détails, des connaissances, et tout à coup une ironie sans illusion et bien troussée sur cette comédie parisienne.
– Eugène Sue · Les Mystères de Paris · Les veillées littéraires illustrées. J. Bry Ainé Editeur, 1843.
Je n’ai fait que le parcourir. Son inspiration sadique me rebute, et je suis vite fatigué de sa lourde morale d’époque, pleine de générosité divine pour les gentils pauvres et friande de châtiments terribles pour les mauvais très vilains.
Deux comptes-rendus, franchement historiques :
– Michel Winock · La Belle Epoque · Editions Perrin, Paris, 2012.
– Anne-Marie Martin-Fugier · Les salons de la IIIème République · Editions Perrin, Paris, 2010.Ces ouvrages révèlent une richesse inépuisable, dont on ne peut guère rendre compte dans une histoire policière d’une heure trente. Le scénario est écrit, la montagne a accouché d’une souris.

Par ailleurs, je me tiens au courant d’un grave sujet, le sort des femmes à travers le monde.
– Nicholas Kristof & Sheryl Wudunn · La moitié du ciel · Editions des Arènes, Paris, 2010. (Half the sky · Publisher : Poseidon Press, New York, 2009)
– Yasmina Khadra · Les hirondelles de Kaboul · Pocket, Paris, 2004. (The swallows of Kabul · Publisher : Anchor Books, New York, 2005)
– Jean-Louis Debré, Valérie Bochenek · Ces femmes qui ont réveillé la France · Fayard, Paris, 2013.

• Cinéma.
J’ai toujours aimé le cinéma, vue réelle et animation. Dans mon enfance, nous allions peu au cinéma, et nous n’avions pas la télévision. Cela conservait à l’image bougeant sur un écran son caractère de magie fascinante (je n’aborderai ici que l’animation).

Dans l’enfance, j’ai eu un petit accès à l’animation tchécoslovaque, avec “La révolte des Jouets” de Hermina Tirlova, court métrage qui m’a enchanté, et j’ai eu un gros accès, comme tout le monde, aux longs métrages de Walt Disney, qui m’ont enchanté aussi. Il s’agit de Dumbo, Cendrillon, Peter Pan (fin décevante !), La Belle au Bois Dormant (là, je devenais grand). J’avais vu en premier Pinocchio, mais à un âge très tendre, et je n’ai pas de souvenir de l’ensemble, mais seulement de détails qui m’avaient ravi, et me plaisent toujours. Jusqu’à La Belle au Bois Dormant, que j’estime être son chef d’œuvre, Walt Disney est un grand producteur de cinéma; après, il devient un grand faiseur de produits, pour lesquels je perds de l’intérêt (tout en admirant le savoir-faire !). Mais petit à petit je découvre des courts métrages d’individus originaux faisant ce qu’ils veulent. Je suis très vite accroché et je guette ces films personnels. C’est dans ce domaine que j’ai eu de grandes satisfactions, en général grâce aux festivals. Je n’ai pas un film favori, ni trois ou quatre. Les films remarquables sont nombreux. Et la grande variété des œuvres, des gens, des pays, est un des plaisirs fondamentaux du cinéma. Je vous transmets ci-dessous une liste de courts métrages qui m’ont touché. L’inconvénient d’une telle liste est qu’on oublie des gens et qu’on peut en attrister. Mais elle est plus juste que trois ou quatre titres. Et elle va transmettre du plaisir ! Bien des titres sont les favoris de tout le monde, mais d’autres méritent d’être découverts. Ma liste est loin d’être à jour, je ne trouve plus le temps de participer réellement aux festivals.

Des films que j’aime
Anna et Bella · Borge Ring, Pays-Bas, 1984 · Production N.I.S., 7-8 mn
Apel (L’Appel) · Ryszard Czekala, Pologne, 1970 · Studio Miniatur Filmowych, 7 mn
Au bout du monde · Konstantin Bronzit, Russie, 1998 · Production Folimage, 8 mn
Cavalette · Bruno Bozzetto, Italie, 1990 · Production Bozzetto Films, 9 mn
Crac · Frédéric Back, Canada-France, 1981 · Production Radio Canada, 15 mn
Fox Hunt · Gross et Hoppin, Grande-Bretagne, 1936 · Production Denning Films, 8 mn
Harpya · Raoul de Servais, Belgique, 1979 · Production Absolon Films, 9 mn
Haut Pays des Neiges · Bernard Palacios, France · Production La Fabrique, 8-9 mn
Jeu de Coudes · Paul Driessen, Pays-Bas, 1980 · Production Radio Canada, 7 mn
Il Était une Fois un Chien · Edouard Nazarov, Russie, 1982 · Soyouzmoultfilm, 10 mn
La Main (Ruka) · Jiri Trnka, Tchécoslovaquie, 1965, 19 mn
La Traversée de l’Atlantique à la Rame · Jean-François Laguionie, France, 1978 · INA-Mediane Films, 21 mn
La Vache · Alexandre Petrov, Russie, 1987, 10 mn
Le Bouvier et la Flûte · Te Wei, Chine, 1963 · Production Shangai Animation Studio, 20 mn
Le Caniche · Nina Shorina, Russie, 1986, 9mn30
Le Héron et la Cigogne · Youri Norstein, Russie, 1974 · Production Soyouzmoultfilm, 10 mn
Le Loup Gris et le Petit Chaperon Rouge· Garri Bardine, Russie, 1990, 26 mn
Le Petit Soldat · Paul Grimault, France, 1947, 10 mn
Le Village · Mark Baker, Grande-Bretagne, 1993 · Production Pizazz Pictures, 12 mn
Les Tétards à la Recherche de leur Maman · Te Wei, Chine, 1960 · Studio d’Arts Shangaï, 15 mn
Mister Tao · Bruno Bozzetto, Italie, 1988 · Production Bozzetto Films, 3 mn
Nativité · Mikhaïl Aldachine, Russie, 1996 · Production Pilot, 14 mn
Père et Fille · Michael Dudok Witt, Pays-Bas · Production CinéTé Filmproduktie, 2000, 8 mn
Pulcinella · Gianini et Luzzatti, Italie, 1973, 11 mn
Sientje · Christina Moesker, Pays-Bas, 1997 · Production Institut Hollandais du Film d’Animation, 5 mn
Sinna Man · Anita Killy, Norvège, 2009 · Production Trollfilm, 20 mn
Strings · Wendy Tilby, Canada, 1991 · Production Office National du Film, 10 mn
Swing Shift Cinderella · Tex Avery, Etats-Unis, 1945 · Production Fred Quimby, 7 mn
The Black Dog · Alison Vere, Grande-Bretagne, 1987 · Production Channel Four, 18 mn
Tragédie Grecque · Nicole Van Goethem, Belgique, 1985 · Production Cinété BVBA, 6 mn
Une Bombe par hasard · Jean-François Laguionie, France, 1969 · Les Films Paul Grimault, 9 mn

Mon Maître
Je n’en ai pas. Ce n’était pas ma pente. Quand j’étais petit et qu’on m’offrait des albums de coloriage, j’étais agacé. Je savais dessiner ! Si je voulais colorier, j’avais mes dessins à moi —et pas besoin de modèle couleur, je mettais les couleurs que je voulais (incidemment, ces brillantes couleurs imprimées étaient plutôt une souffrance, je n’avais que de très ternes crayons de couleur…) !
Pas de Maître, mais beaucoup d’influences. Pas d’originalité, mais une certaine gourmandise. J’utilise avec joie des balles de tous les pays et de toutes les époques (ces emprunts visibles me vont), mais aujourd’hui, le jongleur, c’est moi.

Les contes de fées
Mon inspiration vient de ma vie, des choses que j’aime et des choses que je déteste —tout le monde en est là. Une manière d’amorcer la pompe d’une nouvelle histoire à raconter est de lire des contes traditionnels, le trésor commun dans lequel tous peuvent puiser. Qu’il s’agisse d’histoires qui me sont venues par des légendes traditionnelles (inspiration, jamais adaptation !) ou d’histoires que j’ai totalement conçues, je leur donne une forme de conte de fées. C’est le langage qui me vient naturellement. Il permet deux choses auxquelles je tiens : faire quelque chose de plaisant, de beau, et transmettre un message clairement, sans me prendre les pieds dans les complications du réel, du raisonnable et du vérisme, qui n’ont rien à voir avec ce qu’on veut vraiment dire.

Les films pour enfants
Je n’ai jamais fait de films pour enfants. Mon premier film personnel, “Les Trois Inventeurs“, était un film dur, pour les adultes. Il n’a été montré qu’à des enfants. Je n’avais jamais envisagé cela, j’étais simplement un auteur. Mais comme mon moyen d’expression était le cinéma d’animation, on a gravé au fer rouge sur mon front « enfants ». Au début, j’en étais en colère. Aujourd’hui, j’en joue. « Le film pour enfants » devient un genre, comme la fugue en musique. C’est aussi un Cheval de Troie : les adultes viennent sans méfiance et sans armure – c’est un film pour les petits – et je leur rentre dedans. Je touche probablement plus les grands que les enfants, ce sont les adultes que je fais pleurer.

Mais en effet je plais bien aux enfants. La raison ? C’est que précisément je me travaille pas pour eux. Car personne n’aime être traité en bébé, les enfants pas plus que les adultes. Cependant, comme je sais qu’il y aura des enfants dans mon public, je m’applique à ne rien dire et ne rien montrer d’une manière qui pourrait leur faire du mal – mais j’aborde tous les sujets que je veux aborder aujourd’hui. Les enfants n’ont pas besoin de tout comprendre absolument (cette incompréhension est leur quotidien), par contre ils doivent être bombardés d’informations, qu’ils engrangent pour plus tard. Pas de temps à perdre, il faut enregistrer, en 18 ans, 5000 ans de civilisation.

Réunir tous les âges dans le public est une grande satisfaction pour moi. Mes idées du début, faire des films strictement pour adultes —vous allez voir ce que vous allez voir !— sont en train de s’éloigner (sauf pour quelques courts métrages). C’est un bonheur de voir tous les membres de la famille dans la salle, chacun passionné. Je n’ai pas envie de dire à une partie de mon cher public : toi, ce n’est pas pour toi, va-t’en !

Pourquoi je fais des films
Je ne voudrais pas être trop prétentieux, mais il me semble que je suis un pommier qui fait des pommes. Le pommier a du mal à expliquer. J’étais ainsi dès l’enfance, aimant m’amuser, bricoler, faire de jolies choses, agencer des mécaniques innocentes, et faire plaisir.

Avec le cinéma, immergé dans la variété du monde, tout est possible, atteignant les gens par les yeux, et par les oreilles —le son fait partie du bonheur, les voix, les bruits, et la musique. D’autre part, passé la conception solitaire, le cinéma est une activité sociale. Il y a les producteurs et leur entourage (le film est aussi leur bébé), toute l’équipe de fabrication (pendant une durée qui permet de se connaître vraiment), les comédiens, les concepteurs de sons, les compositeurs, leurs musiciens, et puis le public, que je rencontre volontiers.

Je suis heureux de confectionner des films, du mieux possible, en bonne compagnie. Je veux procurer du plaisir avec un beau spectacle, et faire un peu de bien à travers des messages et des observations.

Je n’ai pas la notion de “devenir riche”, amasser des sommes qu’on ne pourra pas utiliser. On m’a demandé ce que je ferais si je disposais d’énormément d’argent : je ferais ce que je fais aujourd’hui.

M.O.